Joe Rokocoko a marqué 46 essais en 68 sélections sous le maillot des All Blacks. Pour nous, l’un des plus grands ailiers de tous les temps décrypte aujourd’hui l’actuelle mauvaise passe des Tout Noirs…
Avez-vous regardé les derniers matchs des All Blacks ? Qu’en avez-vous pensé ?
J’étais en vacances aux Fidji mais je n’en ai évidemment rien loupé. En fait, j’ai constaté la même chose que tout le monde : la Nouvelle-Zélande était sans solution face à la pression irlandaise et désormais, les supporters néo-zélandais auront un vrai respect pour le rugby irlandais.
Pourquoi les All Backs éprouvent-ils tant de difficultés en ce moment ?
Déjà, la spirale est négative : les All Blacks restent sur quatre défaites lors des cinq derniers matchs… Sur le terrain, le langage corporel des joueurs ne trompe pas : ils manquent cruellement de confiance. Par ailleurs, le jeu d’attaque n’est pas assez varié et face à ces défenses de mieux en mieux organisées, ces mouvements-là, qui marchaient jusqu’à présent, ne fonctionnent plus. La comparaison avec les lancements irlandais était d’ailleurs très défavorable à la Nouvelle-Zélande. […] Alors, peut-être que le changement de coachs (l’entraîneur de la défense John Plumtree et le coach de l’attaque Brad Mooar ont été remplacés récemment, N.D.L.R.) fera évoluer tout ça… Je ne sais pas…
Joe Schmidt est aujourd’hui le bras droit de Ian Foster, le sélectionneur national néo-zélandais. Que savez-vous de l’ancien patron du XV irlandais ?
Je connais très bien Joe. Il fut mon coach avec les moins de 18 ans néo-zélandais puis chez les Blues d’Auckland. C’est un remarquable technicien, très attaché aux gestes basiques du rugbyman : quand j’étais jeune, il passait des heures à nous détailler les angles de courses, les degrés d’orientation de celles-ci… Joe Schmidt, c’est un scientifique du rugby.
À ce point ?
Un jour où je prenais l’ascenseur avec lui, à l’époque où je jouais chez les Blues, il s’était servi des numéros d’étages pour me détailler les mouvements qu’il souhaitait travailler, quelles zones il fallait attaquer le week-end et comment y parvenir… Il est incroyablement intelligent mais demande une réelle perfection technique de la part de ses joueurs. Certains y arrivent, d’autres non…
Le temps est-il venu de choisir entre Richie Mo’unga et Beauden Barrett, qui alternent à l’ouverture depuis plusieurs mois ?
Je ne saurais vous dire lequel est le meilleur des deux car ce sont deux joueurs extraordinaires. Il est en revanche nécessaire d’en fixer un sur la durée. Quand je parle de durée, je parle des six prochains mois : parce qu’un meneur de jeu a besoin de repères avec son premier centre ou son demi de mêlée. Dans le fonctionnement actuel, il ne peut trouver ces repères-là…
En gros ?
Ce sera un choix épouvantable à faire. Bonne chance aux coachs néo-zélandais ! (rires)
La montée en puissance du rugby à XIII, en Nouvelle-Zélande, est-elle également problématique pour les All Blacks ?
Le « rugby league » a toujours été très puissant en Nouvelle-Zélande. Sous les radars, il y a toujours eu beaucoup de mouvements entre jeu à XIII et rugby à XV, notamment chez les jeunes… Pour moi, ce n’est pas vraiment nouveau.
Ne pensez-vous pas que les Néo-Zélandais ont également du mal à s’adapter aux nouvelles règles concernant le plaquage haut ? Ils reçoivent plus de cartons rouges que jamais, ces derniers mois…
(il soupire) C’est un sujet sensible. La réglementation protège les joueurs. Mais parfois, elle dénature aussi le caractère du rugby. Il faudrait en réalité déterminer ce qui est vraiment dangereux et ce qui n’est qu’un accident, qu’un fait de jeu…
Par exemple ?
Reprenez le carton rouge reçu par Angus Ta’avao (pilier des All Blacks) lors du deuxième test face à l’Irlande : sa tête heurte celle de Gary Ringrose, certes, mais c’était un accident. […] Un gros, au rugby, ne peut pas réagir rapidement face aux changements de direction d’un trois-quarts. Le rouge était vraiment dur, à mon sens. Peut-être faudrait-il mettre moins de pression aux arbitres pour que ceux-ci puissent se démarquer, sur des cas exceptionnels comme celui-ci, de ce qui est écrit noir sur blanc dans le livre des règlements.
Voudriez-vous voir de nouveaux joueurs dans cette équipe néo-zélandaise ?
Le talent, les All Blacks l’ont. Le squad étoffé, aussi. Maintenant, je suis curieux de savoir ce que va donner le prochain déplacement en Afrique du Sud : là-bas, les Blacks seront entre eux, en terrain hostile ; ils devront trouver au fond d’eux-mêmes des vertus qui ont quelque peu disparu ces derniers temps. Contre les Springboks, ils devront à nouveau jouer comme des All Blacks.
C’est-à-dire ?
Récemment, le nouveau coach Jason Ryan disait dans les médias néo-zélandais que les avants ont perdu l’agressivité qui faisait leur force jusqu’à présent. Le respect vis-à-vis d’eux-mêmes, ils le retrouveront ainsi.
Avez-vous déjà vécu ce genre de situation, à l’époque où vous étiez en équipe nationale ?
J’ai connu quelques crises lorsque nous avons été éliminés de la Coupe du monde 2003 puis de la suivante… Mais je n’avais jamais connu un changement de coachs comme ce fut récemment le cas en Nouvelle-Zélande.
Changeons un peu de sujet : que pensez-vous des récents changements de règle, au niveau de l’éligibilité des joueurs ? Des anciens internationaux australien ou néo-zélandais, tels Israël Folau ou Malakai Fekitoa, pourront défendre les couleurs de leurs pays d’origine lors du prochain Mondial…
C’est une belle évolution. Que veut-on, à la fin ? Que le jeu grandisse et que les Coupes du monde soient le plus disputées possible. Tous ces joueurs amèneront une expérience considérable à des pays comme le Tonga, les Fidji ou les Samoa…
Vous entraînez les espoirs du Racing depuis quelques années. Comment voyez-vous votre futur ?
Mon plan est de me développer au maximum en tant que coach puis d’accéder un jour à un autre niveau. Je serai en fin de contrat au Racing à la fin de la saison et à ce moment-là, j’adorerais coacher une équipe de seniors, en France ou ailleurs. J’ai beaucoup appris, ces dernières années. J’aimerais désormais me tester.
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