À l’heure d’une situation explosive en détention, où la surpopulation bat des records, un prisonnier via Snapchat et un ex-taulard encore sous bracelet électronique évoquent la prison. Désormais, les drones livrent tout ce qu’ils veulent, drogues, nourritures et encore des couteaux en céramique. Témoignages.
Rendez-vous est pris sur Snapchat, messagerie prisée des délinquants et des trafiquants, réseau social où la police peut difficilement accéder. Roger, son nom d’utilisateur, répond depuis sa cellule d’une prison héraultaise où il évoque son quotidien dans un contexte explosif : il n’y a jamais eu autant de prisonniers en France et si peu de places.
« Pratiquement toutes les cellules ont un matelas au sol. La logique, c’est que le dernier arrivé va par terre, comme le plus ancien a le lit du bas, on est à 3 dans 9 m2, parfois, ça chauffe… Mais les chefs qui nous placent font leur travail pour éviter que ça dégénère », explique-t-il.
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La loi du plus fort et de la « discrimination sociale »
Roger rapporte pourtant « une forte discrimination sociale selon l’appartenance et la situation. Vous êtes sans revenu, vous galérez, vous êtes un fatigué, on ne vous traitera pas comme celui qui est propre et reçoit des cantines. »
À cela s’ajoute une hiérarchie : « La seule qui existe, c’est le plus fort, Noir, Blanc, Jaune ou bleu. Ne pas s’écraser suffit pour être tranquille, après, pour être le plus fort, comme dehors, il faut être le plus méchant. Pour certains, on rentre ici avec un CV, on retrouve ceux qui ont un pedigree : les trafiquants qui gèrent un four (un point de deal NDLR) ou les tireurs… Le gros de la prison est rempli de gens qui sont dans l’univers criminel, tout le monde se connaît. »
Alors, pour certains, l’incarcération est devenue banale. Surtout, quand on est en haut de la hiérarchie criminelle.
« La prison ? Je la connais très bien, j’y ai passé ma vie »
« La prison ? Je la connais très bien, j’y ai passé ma vie ! ».
Quand on le rencontre autour d’un café à Montpellier, cet ex-taulard, un brin fanfaron, choisit Vladimir comme prénom d’emprunt. Le monde carcéral, il le connaît mieux que personne et le bracelet électronique au mollet qu’il montre volontiers trahit sa toute récente sortie de détention, à la fin de l’été. Il est passé par les maisons d’arrêt de Nîmes, Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault) et Béziers.
Il se souvient de sa première incarcération : « Je me suis retrouvé à Nîmes et quand je suis revenu dans mon quartier à Montpellier, j’étais un héros. »
Ce caïd du trafic de stupéfiants décrit un univers où la réputation et l’argent font la loi car tout s’achète, tout se vend. Il montre ses vidéos et photos de sa cellule aménagée à son goût : des posters, la grosse télé, ses paquets de cannabis ou ses assiettes de saucisses frites et cola, le tout importé illégalement.
« Tout se monnaye », assène Vladimir. Surtout le smartphone : les services pénitentiaires ont beau en avoir saisi 53 000 en 2023, « tout le monde en a un », dit ce témoin. Il détaille les tarifs quatre fois plus chers derrière les murs : 400 € pour un iPhone 8, 1 200 € l’iPhone Pro Max 12.
« Pour le shit, 10 € dehors, c’est 50 € ici. Sur les grosses quantités, 10 ou 50 g, les prix ne sont pas aussi décuplés et la coke, c’est 100 € un gramme », complète Roger sur Snapchat.
Comment ces produits interdits sont devenus monnaie courante ? Vladimir l’assure : les surveillants l’approvisionnent. Il montre une photo où dans un paquet de biscuits de l’intendance, il a récupéré téléphones et résine de cannabis.
« Avec les drones qui reviennent moins cher, le surveillant est inutile »
« Aujourd’hui, avec les drones qui reviennent moins cher et qui livrent devant la cellule, le surveillant est inutile, c’est rarissime », estime de son côté Roger. Le drone vient le soir, il largue le colis sur une zone où le détenu de sa cellule peut le repêcher. « Il est entouré d’un filet de patates, on jette un yoyo avec au bout une fourchette repliée pour se mettre dans les mailles et une fois le fil accroché, il n’a plus qu’à tirer son yoyo jusqu’à sa cellule. Comme la pêche. »
Quand le “droneur” vient à proximité de la prison, il est en ligne avec le “repêcheur.” Les gardiens, en sous-effectif, ont lâché l’affaire et les supposés brouilleurs sont inexistants ou parfois à l’efficacité limitée.
Beaucoup de couteaux en céramique livrés par drone
« On fait venir des choses simples, comme un fouet pour faire des gâteaux, des bonbons, de la viande fraîche crue, hachée ou des merguez, des tondeuses pour se couper les cheveux, des choses banales… Malheureusement, il y a aussi des céramiques », alerte Roger le détenu, évoquant ces couteaux avec une lame blanche qui ne sonnent pas aux portiques.
Vladimir, lui, décrit comment le drone est devenu une petite entreprise. Sur Snapchat, encore, on trouve des annonces du type “Droneurs 34-30-13”, des individus qui ne connaissent ni les détenus, ni ce qu’il y a dans les colis mais touchent « 350 € pour 300 g de charge ou 850 € pour 2 kg » pour livrer la marchandise.
Les deux témoins confirment que les téléphones, eux, servent aux dealers à continuer leur business, livraisons, gestion du « four », alors que certains s’en servent pour faire des arnaques « à la livraison Amazon », se marre le Montpelliérain sous bracelet.
Roger le rappelle : « Le téléphone, il y a le mauvais revers de la médaille comme le meurtre commandité. Mais c’est essentiel, ça achète la paix sociale. Pas de téléphone, croyez-moi que les problèmes de violence seraient multipliés par dix… On appelle la famille, ça apaise, on surfe sur le web ou on regarde des matches de foot. »
« Bombes à retardement »
Roger est pressé d’en finir avec sa peine et promet qu’on ne l’y reprendra plus. « La prison, la plupart des gens prennent ça comme du temps perdu. Un mec qui fait cinq ans ou plus ressort complètement décalé, adapté à la vie carcérale donc, pour lui, ça ne sera plus un frein de “rentrer”, les longues peines créent des bombes à retardement. »
Vladimir aussi assure qu’il en a fini avec « ses années de voyoucratie. » Même si c’est difficile.
« Quand tu montes dans le train et que c’est pas le bon, plus il va loin, plus tu as du mal à revenir », lance-t-il, fataliste.
Depuis sa cellule, accusé d’avoir commandité et suivi sur son téléphone la torture d’un jeune dealer
Si de récents assassinats à Marseille entre bandes mafieuses ont été déclenchés depuis la prison, l’Occitanie a aussi son lot d’affaires où la détention n’empêche plus rien.
Selon nos informations, l’Héraultais Laurent Morcillo, à l’imposant passé judiciaire, a été mis en examen mi-novembre pour complicité d’enlèvement en bande organisée avec acte de torture ou de barbarie.
Cet individu de 40 ans, surnommé “Loup Blanc”, est soupçonné d’avoir commandité une punition envers un “charbonneur”, chargé de vendre des stupéfiants sur un point de deal à Montpellier, parce qu’il aurait volé de l’argent.
Selon l’enquête de la police judiciaire, il aurait, depuis sa cellule, en novembre 2022, envoyé ses lieutenants encagoulés, dont deux “tarteurs”, spécialisés dans les représailles, séquestrer le surnommé “Parigot” et un ami à lui.
Déshabillés et obligés à se battre
Ils ont été déshabillés et obligés à se battre pour déterminer qui aurait volé : le tout a été filmé pour que “Loup blanc” puisse tout regarder depuis sa cellule, donner ses ordres, et menacer d’un sort identique à ceux qui refuseraient d’obéir.
La suite a aussi été captée par les téléphones : “Parigot” a été amené dans un champ, frappé, un chiffon mis dans sa bouche, et les agresseurs lui ont cassé les doigts de la main droite à coups de pavés… “Loup Blanc” nie les faits, comme il avait contesté être le patron d’un vaste réseau de stupéfiants.
« C’est impossible de gérer le réseau depuis la prison », avait lancé Laurent Morcillo, en mars dernier, devant le tribunal judiciaire de Montpellier qui l’avait condamné à huit ans de prison pour la gestion de deux points de deal, ce qu’il niait. Jugé en appel en octobre, sa peine a été revue à la hausse : douze ans de réclusion.
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