Souffreteux et si peu inspirés en poule, les Bleus ont retrouvé de l’allant au meilleur moment, jeudi soir, pour dominer leurs rivaux argentins et obtenir un billet pour les demies. à deux marches de l’or.
Leur rêve était trop beau, l’envie trop forte et la ferveur populaire trop grande pour que tout s’arrête comme ça, un jeudi soir, à la veille de l’ouverture officielle de leurs Jeux Olympiques. Au bout de trente-six heures de compétition désarmantes, frustrantes, inquiétantes et finalement enivrantes, les Bleus ont accédé au dernier carré du tournoi olympique à la faveur d’une victoire tonitruante et exaltante, en quart de finale, face à l’Argentine (26-14) quand bien même tout, dans leur parcours, laissait jusqu’alors présager du contraire…
Dans une ambiance électrique, digne des plus grandes heures des 6 Nations ou des Coupes du monde, Antoine Dupont et les siens ont non seulement renversé les Pumas mais aussi les doutes nés d’une phase de poule franchement médiocre. Le rugby hexagonal n’a-t-il pas écrit ses plus belles pages ainsi, en déjouant les pronostics et en surgissant de l’obscurité quand la nuit semblait inévitablement sur le point de tout engloutir ? En l’occurrence, cette sélection-là est revenue de loin. “J’ai l’impression que nous sommes repartis de zéro”, a même avoué Varian Pasquet, jeudi après-midi, avant le début des choses très sérieuses. En ouverture, Paulin Riva et ses partenaires avaient fait preuve d’une fébrilité et d’une imprécision indignes de leur statut de vainqueur du circuit mondial face aux États-Unis (12-12) et à l’Uruguay (19-12), deux adversaires plus ou moins largement à leur portée. Au soir du premier jour, le constat était, au moins, on ne peut plus limpide. “On sait que si on n’élève pas notre niveau de jeu, on n’ira pas très loin”, annonçait Antoine Dupont. “Nous n’avons pas pris trop de plaisir sur le terrain, les supporters, non plus, les pauvres”, concédait Jean-Pascal Barraque avant de chercher à positiver : “On va dire que nous avons fait toutes les erreurs. Demain, ce sera différent. On sait ce qu’il ne faut plus faire.” Ce qu’il fallait faire, aussi. Et Stephen Parez-Edo Martin de dresser la liste, non exhaustive, des axes de progression : “Prendre de la vitesse, s’élancer un peu en attaque, passer derrière la défense pour se faire des passes.”
Contenus de la page
“Leur rouler dessus”
De l’extérieur, tout ou presque devait être revu, corrigé, amélioré. En interne, Jérôme Daret se voulait rassurant. Question de confiance et d’expérience, sûrement : “Nous n’avons pas été dans notre meilleur rugby mais on peut redessiner les choses”, avait ouvert le technicien, avant une nuit qui devait porter conseil. Après une prestation un tantinet plus convaincante face aux Fidji (19-12) le jeudi après-midi, l’hypothèse d’un renversement de dynamique était à peine plus envisageable. Et le compte à rebours avant la première rencontre éliminatoire était lancé. Pour ne pas voir leur nom inscrit en tête de colonne des déceptions de la délégation tricolore, Paulin Riva et ses partenaires disposaient de six heures chrono. Avec pour mission de se remettre la tête à l’endroit et les pieds sur terre. Six heures passées dans les coursives du Stade de France à tourner en rond, à écouter la musique des DJ Timo et Joseph, à aborder leur plan de bataille, à analyser les trois points forts adverses et les trois axes d’attaque définis par le staff, à récupérer physiquement, à acter le forfait de Théo Forner et l’intégration de Nelson Epée. Dans les têtes et les bouches, le quart de finale face à l’Argentine avait déjà commencé. Un adversaire pour le moins particulier : “Ils nous ont arraché beaucoup de victoires, beaucoup de titres la saison passée”, se remémorait Varian Pasquet. Les piquets du décor étaient solidement plantés. “Il y a de la revanche dans l’air”, annonçait Jérôme Daret quand Stephen Parez-Edo Martin salivait, à ses côtés : “J’espère qu’on va leur rouler dessus.” La prophétie, aussi sincère soit-elle, semblait alors, reconnaissons-le, à tout le moins osée…
Timo, héros inattendu
Du côté des travées aussi, le calme précédait la tempête. “Ça va être électrique, annonçait le pilier. Nous avons entendu que les Argentins se faisaient huer à chaque fois qu’ils étaient sur la pelouse.” “Le stade va nous aider même s’il faut faire attention car quand on les hue ou qu’ils se sentent rejetés, ils peuvent en faire une force”, tempérait Stephen Parez-Edo Martin, avec une pointe de sagesse. Des revers passés à la récente finale de Madrid remportée par les Bleus en passant par la bagarre générale entre les deux équipes et le retour du banni Isgro dans les rangs sud-américains, il se dégageait de cette affiche un soufre à nul autre pareil. Mais par-delà tout ce folklore, le contexte bouillant et la rivalité toute aussi chaude entre les sélections, il s’agissait ni plus ni moins d’un quart de finale olympique. L’occasion ou jamais pour les tricolores de reprendre leur destin en mains et le cours d’une histoire supposément magnifique, sous peine de regrets éternels.
Lorsqu’ils ont débouché, pour la quatrième fois, du tunnel de l’enceinte dionysienne, sur les coups de 21 h 30, les fébriles “rookies favoris” du mercredi avaient laissé place à une bande de compétiteurs déterminés, revigorés, retrouvés. Et enfin, le destin, le dessin a pris forme : la défense récupérait les bonnes munitions, les courses tranchaient davantage, les rebonds tombaient du bon côté, Rayan Rebbadj régalait, les transformations fusaient, la doublette Jefferson Lee-Joseph – Aaron Grandidier-Nkanang lâchait les chevaux et les paris de l’encadrement, même les plus osés, comme celui de laisser Antoine Dupont sur le banc ou de miser sur Andy Timo d’entrée, se révélaient payants. La suite était autrement plus douloureuse, en infériorité numérique et en souffrance devant la ligne d’en-but, à gérer l’avantage tels des quinzistes… Cette difficulté a rendu la quête encore plus belle jusqu’au feu d’artifice du plongeon d’Antoine Dupont. Comme dans un rêve. Telle était pourtant bien la réalité d’une soirée aux confins de l’irrationnel. Après quatorze minutes de haut vol, les tricolores pouvaient quitter l’arène têtes hautes, le regard tourné vers l’avenir et les sommets, sous les vivas d’une foule folle d’amour : tout le reste était oublié, tout redevenait possible. Impossible n’est pas France 7.
.