Noémie Bonnet-Aldigier, directrice santé de la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Hérault, justifie les procédures lancées contre des médecins prescrivant trop de jours d’arrêt.
Comment déterminez-vous les médecins qui délivrent trop d’arrêts maladie à vos yeux ?
On se base sur deux critères. On regarde l’activité moyenne d’arrêts prescrits par patient actif (en âge de travailler) au sein de la patientèle d’un médecin. Et on pondère en fonction du territoire où exerce ce médecin, sachant qu’il ne faut pas délivrer 1,9 fois plus d’arrêts que la moyenne de ce territoire.
Que constatez-vous ?
Quand on examine les forts prescripteurs, ce sont les mêmes noms de professionnels de santé qui reviennent depuis plusieurs années. Souvent, c’est soit un médecin qui donne trop d’arrêts dès le départ, soit un qui ne les arrête pas.
Comment agissez-vous pour réduire ces prescriptions ?
Les médecins-conseils et les délégués de l’Assurance maladie sont en contact régulier avec les forts prescripteurs. Ils visitent de nombreux généralistes et évoquent avec eux les patients au cas par cas. On cerne les arrêts qui peuvent être abusifs et on cherche une solution aux patients qui entrent de manière structurelle dans un arrêt maladie. Ce sont surtout des actifs en deuxième partie de carrière avec un reclassement difficile.
Travaillez-vous avec d’autres partenaires ?
Oui, avec tous ceux qui sont concernés par cette thématique : médecins du travail, partenaires sociaux, employeurs, syndicats de médecins… Tout ceci permet de mieux cerner cette question délicate. Et d’éviter d’en arriver à une mise sous objectif (lire encadré).
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Six médecins sous surveillance dans l’Hérault
Selon la CPAM de l’Hérault, seuls six médecins ont reçu une lettre (envoyée à partir du 1er septembre) leur expliquant qu’ils étaient de trop importants prescripteurs d’indemnités journalières.
“Nous avons proposé à ces médecins de fixer ensemble un objectif de réduction des prescriptions d’indemnités journalières, explique Noémie Bonnet-Aldigier. Trois ont accepté cette mise sous objectif (MSO) et trois autres l’ont refusé, souhaitent passer à la mise sous entente préalable (MSAP), procédure qui débutera en 2024.”
Le contrôle médical de la CPAM examine alors tous les justificatifs d’arrêts maladie délivrés par le médecin, et les valide au préalable avant qu’ils ne soient remboursés.
Six médecins concernés par la mise sous objectif, c’est très peu…
Sur 1 200 à 1 500 médecins dans le département, oui. Nous en avons eu jusqu’à une quinzaine par le passé. Mais nous avons privilégié la graduation et affiné les critères de sélection. Ce faible chiffre montre que les opérations que nous menons régulièrement auprès des médecins ont leur efficacité.
Pourtant, le nombre d’arrêts délivrés augmente régulièrement…
Il y a un problème sociétal vis-à-vis des indemnités journalières. Beaucoup de médecins partagent notre constat et ont conscience de délivrer un peu trop d’arrêts maladie. Mais ils se sentent de moins en moins rassurés devant leurs patients, et même démunis devant certaines situations. Ils sont confrontés à des patients qui ont parfois du mal à objectiver leur problématique. À l’inverse, certains patients s’enferment dans le travail alors qu’ils mériteraient d’être arrêtés.
42% des salariés en arrêt en 2022
42 % des salariés se sont vu prescrire un arrêt maladie en 2022. Ce taux revient au niveau de 2016 (41 %) après une baisse durant la période Covid.
Les jeunes, les femmes, les aidants, les managers, le secteur de la santé et les salariés des TPE-PME sont surreprésentés dans les statistiques des arrêts.
Derrière les maladies ordinaires, les troubles psychologiques (20 %) dépassent pour la première fois les troubles musculo-squelettiques (16 %).
Quelles sont les solutions ?
On essaie de donner des clés aux médecins, de leur montrer qu’ils ne sont pas seuls dans leur pratique. On met à leur disposition un référentiel de jours d’arrêts pour chaque pathologie, par exemple.
Quels sont les arrêts majoritairement délivrés ?
Il y a deux catégories principales : les arrêts courts liés à la fatigue, et les arrêts longs motivés par une dépression ou une pathologie physique, comme la lombalgie.
La réduction du déficit de l’Assurance maladie motive-t-elle cette recherche d’économie sur les arrêts maladie ?
C’est surtout sur notre capacité à financer notre système de santé qu’il faut s’interroger. Il va falloir faire des choix. On n’a pas envie de limiter les traitements dont les patients ont besoin, ou la recherche médicale. Sur les arrêts maladie, on cherche un cercle vertueux, avec une sensibilisation de tous les acteurs.
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