L’entraîneur de Bordeaux-Bègles Frédéric Charrier évoque la précarisation du métier d’entraîneur mais aussi toute la pression liée à cette fonction.
De nombreux clubs de Top 14, dont l’Union Bordeaux-Bègles que vous allez quitter, ont décidé de bouleverser la composition de leur staff technique lors de la prochaine intersaison. Est-ce que cela vous interpelle ?
C’est vrai que cette année, il y a de nombreux bouleversements : à l’UBB, au Racing, à Toulon, à Perpignan, au Stade français et dans d’autres clubs, encore. Forcément, ça interpelle. Quand je vois Montpellier, sacré champion de France en juin dernier, d’où Olivier Azam est remercié quelques semaines après le début de cette saison, ça interroge un peu… Tout comme Pierre-Henry Broncan, finaliste du championnat avec Castres et viré lui aussi quelques mois plus tard. C’est peut-être lié au fait que depuis quelques années sont apparus dans le rugby de nouveaux présidents avec des moyens financiers importants mais qui ne sont pas issus du monde du rugby. Ce qui se passe aujourd’hui dans notre sport, c’est à l’image de ce qui se passe dans le football. Les présidents mettent beaucoup d’argent et veulent des résultats immédiatement. Le rugby se « footballise » de ce point de vue là. Mais est-ce que ces présidents rendent service à leur club ?
Je vous retourne la question…
Quels sont aujourd’hui les deux meilleurs clubs français ? Le Stade toulousain et La Rochelle, tout simplement parce que ce sont les deux clubs les plus stables au niveau de leur staff technique. Certes, il y a un peu plus de rotation à La Rochelle, mais il y a toujours une forme de continuité.
Certains présidents n’hésitent pas à prolonger les contrats de leurs entraîneurs pour finalement les écarter quelque temps plus tard. Le comprenez-vous ?
Ça a été le cas chez nous, à l’UBB. À notre arrivée, nous avions signé quatre ans avec Christophe (Urios, N.D.L.R.). Nous avons eu des résultats lors des trois premières saisons. Christophe a obtenu une prolongation de contrat, il avait resigné deux ans. Seulement, au regard de la fin de saison dernière, il avait dit au président (Laurent Marti) : « Je ne sais pas si j’irai au bout de mon contrat. » Et finalement, c’est au moment où Christophe a annoncé qu’il avait retrouvé de l’énergie et toute sa motivation qu’il a été viré.
Pourquoi ?
Parce que le président s’était mis en tête qu’il était temps de changer. Je pense que lorsque la relation de confiance est brisée, tout devient compliqué.
Aujourd’hui, nous sommes dans un système d’hyper-consommation. Quand ça ne fonctionne pas, on change tout. Voyez-vous, je termine ma quatrième saison à l’UBB et j’ai l’impression que c’est déjà long.
Cette pression est-elle difficile à gérer pour un entraîneur ?
Non, elle est inhérente à notre métier. Et puis, la pression vient d’abord de nous, de notre exigence. J’ai le souvenir, à notre arrivée à Castres avec Christophe (Urios), que notre objectif était de très vite être capable de qualifier l’équipe en phase finale, de faire en sorte de renouer avec un titre, alors que le club venait de jouer le maintien. La pression sportive est logique. Quand on signe un contrat de deux, trois ou quatre ans, peu importe la durée, on sait pertinemment que si cela ne fonctionne pas, on ne sera pas renouvelé. Ou même, on sera viré avant la fin de notre contrat. Ça fait partie du jeu. En revanche, il est capital que tout le monde aille dans la même direction durant ce laps de temps : joueurs, entraîneurs, dirigeants et président. Il faut que chacun soit en capacité d’absorber la pression liée à l’environnement, qu’il soit médiatique, populaire ou économique. Si on n’est pas forts tous ensemble, ça part en vrille.
Une carrière comme celle de Guy Novès, resté vingt ans dans le même club, est-ce encore possible ?
Je ne crois pas. Mais attention, en son temps, Guy Novès restait en place mais changeait aussi régulièrement ses entraîneurs. Je suis à l’aise pour évoquer le sujet car j’en ai parlé avec Julien (Laïrle) dont le papa a travaillé avec Guy Novès. Et quand Novès sentait qu’un changement devenait nécessaire, il changeait ses adjoints. Alex Ferguson, l’ancien manager de Manchester United, travaillait de la même manière. Mais il n’y a pas cinquante solutions pour faire évoluer le projet : soit le manager change ses adjoints, soit il vire la moitié de son effectif. Seulement, cette dernière solution n’est pas la plus simple (rires). Aujourd’hui, nous sommes dans un système d’hyper-consommation. Quand ça ne fonctionne pas, on change tout. Voyez-vous, je termine ma quatrième saison à l’UBB et j’ai l’impression que c’est déjà long.
Sur le plan personnel, n’est-ce pas trop difficile à vivre ?
C’est une organisation qui tourne quasiment exclusivement autour de notre métier. Je ne vous cache pas que mes enfants ont mal vécu notre départ de Castres. Tout comme ils vivront probablement assez mal notre départ de Bordeaux. J’ai un garçon de 16 ans et une fille de 13 ans. Ce n’est pas simple pour eux. On forme une équipe dans l’équipe. Ils me suivent partout. Nous avons fait le choix que mon épouse ne travaille pas, ce n’est pas simple pour elle non plus. Mais bon… C’est un choix de vie.
Justement, on vous annonce à Clermont la saison prochaine pour rejoindre le staff technique de Christophe Urios. Pouvez-vous confirmer ?
Je ne confirme rien. On parlera de la saison prochaine quand celle-ci sera finie.
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