“Je suis choquée par cette circulaire, c’est la police des mœurs !” Le docteur Marion Delpont, chirurgienne au CHU Lapeyronie de Montpellier en a gros sur la patate depuis la sortie de cette instruction du ministère de la santé. Une circulaire du 17 janvier 2023 qui s’en prend aux fresques dites “carabines” exposées dans les salles de garde des internes, les médecins étudiants, dans les hôpitaux publics depuis le début du XXème siècle. Un texte qui estime que ces fresques ont un caractère pornographique et sexiste et qu’il faut les retirer dans l’année après une concertation avec les “parties prenantes locales“.
En l’occurrence, le Dr Delpont est bien placée pour avoir un avis sur la question puisqu’elle figure au centre de la fresque de l’internat de l’hôpital Lapeyronnie, peinte par l’artiste graphiste Jacques Lucchino il y a une dizaine d’années, un Déjeuner sur l’herbe de Manet revisité à la sauce grivoise. ” C’est un honneur pour moi d’avoir été choisie pour être dans la fresque, et en bonne place puisque je suis au centre, je suis la star !”. Une scène de partouze, cunnilingus par ci, sodomie par là, “c’est vrai que c’est très particulier ces fresques, c’est bien pour cela qu’elles ne sont pas affichées dans le hall de l’hôpital !“. Pour la chirurgienne, il s’agit surtout d’un défouloir, d’un exutoire, “une sorte de catharsis” pour s’extraire d’un quotidien difficile fait de moments tragiques, “on nous reproche de la pornographie et du sexisme mais c’est surtout de l’humour.”
Pour le ministère, il s’agit de protéger les étudiants du secteur de la santé. La circulaire précise que “la survivance des fresques peut-être considérée comme un agissement à connotation sexuelle, subi par une personne et ayant pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant“.
“C’est n’importe quoi ! Cette circulaire est inique et déplacée !” s’insurge Philippe Cathala, le président départemental de l’ordre des médecins, auteur d’une thèse sur l’histoire de l’internat des hôpitaux de Montpellier dans laquelle il est question de ces fresques. Pour lui, ces dessins c’est de “la transgression dans l’univers propre et aseptisé de l’hôpital“. Lui-même mis en scène par Jacques Lucchino, il réfute les accusations de pornographie, “ce n’est pas fait pour exciter des hommes et les femmes, ces fresques mettent en avant de façon allégorique le triomphe de la vitalité sur ce qui fait le quotidien des médecins, c’est à dire la maladie et la mort.
Le médecin légiste ne comprend pas le parallèle qui est fait dans la circulaire ministérielle entre les violences sexistes et sexuelles et ces fresques, “les internes représentés sont tous consentants et on voit des scènes de nus aux musées, au cinéma, à travers la plupart des domaines artistiques”.
N’empêche, la pression se fait de plus en plus forte sur les établissements de santé et notamment depuis la décision du Tribunal administratif de Toulouse qui a ordonné le retrait d’une fresque au CHU de Toulouse.
À Montpellier, les internes semblent bien décidés à défendre leurs fresques, celles de Lapeyronie, Saint-Eloi ou encore La Colombière. “Ça fait partie de notre patrimoine, selon le Dr Marion Delpont, laissez nous tranquille, c’est le message que je veux faire passer. Moi je vis ça comme une intrusion, une police des moeurs qui viendrait fouiller dans nos placards pour voir si on aurait pas des ouvrages subversifs. C’est très violent.”
Philippe Cathala s’interroge “étant donnée la situation du pays sur le plan sanitaire et sur les conditions d’exercice des médecins, on se demande si c’était vraiment l’urgence de faire une circulaire sur ce sujet“.
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