Nantes 1986, le récit d’une sauvagerie – Épilogue : Huit mois, et l’éternité

Les suites du test de Nantes furent énormes : un grand chelem, une demi-finale mondiale d’anthologie, avant des retrouvailles avec les All Blacks. Et le souffle de l’Histoire se renversa. Mais dans notre mémoire, il court toujours.

Votre saga de l’été

Chaque semaine, jusqu’à fin août, Midi Olympique vous donne rendez-vous, dans son édition du vendredi et du lundi, pour vous conter en six épisodes le France – Nouvelle-Zélande du 15 novembre 1986, l’un des matchs les plus mythiques de l‘histoire des Bleus.

L’un des plus évoqués, des plus célébrés. Jamais les Français n’avaient à ce point surpassé les maîtres des antipodes, par l’ampleur du score (16-3) mais aussi par la manière. On a souvent parlé de « sauvagerie » à propos de ces quatre-vingts minutes.

L’engagement des Bleus y fut total, c’est vrai. Le halo légendaire qui entoure cette partie s’est ensuite trouvé enrichi par toute une série de récits épars, complémentaires, parfois contradictoires : les témoignages des All Blacks sidérés, bien sûr ; et des Français hallucinés de ce qu’ils avaient été capables de faire, de vivre.

Cette rencontre fut plus qu’un simple test-match. Ce fut aussi un contexte, avec un premier test à Toulouse vécu comme une humiliation, suivi d’un stage terrible. Puis un avant-match incandescent, dans la moiteur des vestiaires de Nantes. Ce match a aussi basculé dans une autre dimension par la personnalité hors norme d’un sélectionneur inoubliable : Jacques Fouroux. Pourrait-on aujourd’hui préparer une équipe comme le faisait le « Petit Caporal » ?

Le match de Nantes s’est finalement poursuivi bien après son coup de sifflet final, entre des déclarations tapageuses et contestables, des allusions sulfureuses à de la violence, à du dopage. Le retour du bâton.

En cette période estivale, Midi Olympique vous invite dans les secrets de cet instant de légende du rugby français. Nous avons revu cette débauche d’énergie tricolore, nous avons interrogé la quasi-totalité des protagonistes et retracé les lignes du mythe, pour en démêler le vrai du faux. Aujourd’hui, l’épilogue.

Notre voyage dans le temps touche à sa fin. Il nous a ramené vers les sources du mythe du France-Nouvelle-Zélande de 1986. Il nous a aussi permis de mesurer l’onde de choc directe de ces 80 minutes historiques (en mettant à part les rebondissements tardifs décrits dans notre dernier épisode). Mais l’auteur de ces lignes est assez âgé pour se souvenir des mots d’un téléspectateur (aujourd’hui disparu) qui dès le coup de sifflet final s’exclama : « Tu te rends compte, pour ceux qui ont vécu ça, ce qu’ils doivent ressentir. »

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Fabrication d’un souvenir en direct. Ce reflux de la mémoire vient donc contrebalancer l’effet de vieillissement des images revisionnées 36 ans plus tard. Sur le moment, ce succès fut vraiment vécu comme un exploit dantesque par son niveau d’engagement physique. La première onde de choc, la principale, a persisté pendant huit mois. Elle fut le détonateur du grand chelem de 1987 qui suivit, peut-être aussi implacable que celui de 1977.

Franck Mesnel put y exprimer tout son potentiel offensif, Laurent Rodriguez creusa le filon de la percussion. Fidèle… à son sens de la fidélité et à sa notion de groupe, Jacques Fouroux rappela même un deuxième ligne de 37 ans, Francis Haget, comme une provocation. L’onde de choc du test de Nantes, ce fut une série de dix matchs sans défaite, série inédite depuis les années 30. Dix matchs, ça nous amène à la première Coupe du monde, et à la demi-finale de Sydney face à l’Australie (30-24), avec l’essai de dernière minute de Serge Blanco, un succès éclatant, pendant du test de Nantes, en mode plus offensif. La boucle sportive se boucla ainsi.

Une semaine après, la France vécut la finale perdue face… aux All Blacks (29-9). Dès le mois de décembre 86, les Kiwis avaient changé d’entraîneurs adjoints (Joe Hart et Alex Wyllie à la place de Tiny Hill et Colin Meads). Et surtout, ils avaient embauché Jim Blair, un vrai préparateur physique, un gars capable de proposer une préparation adaptée à chaque individu et à chaque poste. S’il y a eu UN héritier de Nantes, c’est peut-être lui. Il proposa même de nouveaux exercices ballons en main mélangeant adresse et aggressivité jusqu’à être perçu comme le pion essentiel du titre mondial.

On a souvent présenté cette rencontre à travers le slogan « Remember Nantes », la revanche du châtiment de novembre. Le manager Brian Lochore l’avait placardé dans les vestiaires, Philippe Sella aperçut l’affiche en allant échanger son maillot. Wayne Shelford tempère un peu… avant de confirmer : « Non, ce n’était pas du tout une motivation supplémentaire car le contexte était totalement différent, mais bien sûr, notre ego en avait pris un coup, on avait perdu contre la France, on devait traîner ça jusqu’au prochain affrontement entre les deux équipes. Mais 1987 était une nouvelle année, nous avions connu une excellente préparation et une montée en puissance lors de cette Coupe du monde. Nous étions donc prêts pour affronter les Français. Je dois d’ailleurs souligner que nous avions regardé le match à la télévision et que chaque fois que les Australiens marquaient, c’était la déception et quand les Français marquaient on applaudissait. On voulait notre revanche et prouver que nous étions meilleurs. »

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Il réussira à retourner Laurent Rodriguez sur la première charge. Le quotidien Libération avait réussi à placer un envoyé spécial à proximité du vestiaire des Néo-Zélandais, l’oreille collée à une paroi. Kirk : « Souvenez-vous de Nantes! Est ce que ça fait encore mal ? » – Brian Lochore : « Moi ça me fait toujours mal. Toi Buck (Shelford), je sais que ça te fait mal. »

Alain Lorieux nous a aussi fait remarquer que pour accéder à cette finale, les All Blacks avaient bénéficié d’une voie royale (même en demie contre de faibles Gallois) alors que les Français avaient eu la vie dure face à l’Écosse, les Fidji et l’Australie. Le souffle du test de Nantes s’est donc fracassé sur les tribunes de l’Eden Park et sur les limites des méthodes de Jacques Fouroux. Incroyable paradoxe, le Napoléon du rugby français, fut un jour trop fidèle à lui-même et le lendemain, pas assez.

Rugby : seul sport de combat collectif

Trop fidèle à lui-même parce qu’il programma des séances d’entraînement de folie. Avant la demie, ça pouvait se comprendre, avant la finale, ce fut une erreur, une débauche d’énergie de trop. « Oui, à l’époque, on ne pensait pas trop à la récupération. Je me souviens d’un engagement de folie, par exemple Patrick Estève a tout fait pour prendre la place de Patrice Lagisquet », se remémore Daniel Dubroca.

Le « toujours plus » physique de Fouroux avait trouvé ses limites. Nos confrères qui avaient assisté à une séance sur la colline de Rushcutters à Sydney confirment que l’atmosphère était électrique sur fond de tensions entre Fouroux et les journalistes, dont le plus qualifié d’entre eux, Pierre Villepreux, accrédité par Libération. Comme possédé Fouroux avait commandé une montée en intensité : « Oui, vas-y ! c’est ça ! Oui, comme en match », avait-il répondu au regard perplexe de Laurent Rodriguez. Francis Haget y avait laissé un genou, il ne sera remplaçant ni pour la demie, ni pour la finale.

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En revanche, Fouroux n’avait pas été fidèle à lui-même dans la mesure où, avant la finale, il changea subitement de discours. Au lieu de reprendre le laïus tout en brutalité de Nantes, il opta pour une préparation « sentimentale », à base d’évocation de la famille restée au pays. Elle n’était pas de nature à redonner de l’adrénaline. Alain Lorieux et Pascal Ondarts la regrettent encore, ils nous l’ont confié.

Le contexte est difficile à comprendre pour les plus jeunes : le mal du pays et de la famille prenait vraiment tout son sens. Pas de portables, pas d’internet. Même avec l’excitation de l’événement, les joueurs avaient envie de retrouver leur foyer, Laurent Rodriguez nous l’a assuré. Au lieu d’exciter la colère de ses hommes, Fouroux leur tira les larmes. Cette fois le coup de poker se retourna contre lui, l’arbitre, M. Fitzgerald aussi à 9-3 quand il se refusa à accorder un essai de pénalité aux Bleus sur mêlée enfoncée. McDowell s’était pourtant affaissé face à Jean-Pierre Garuet. Que se serait-il passé s’il avait pris ses responsabilités ?

Après cette finale sans suspense, ce fut une autre époque, même si Fouroux resta en poste jusqu’en 1990. Mais à nous, 36 ans après la Bataille de Nantes, que nous reste-il ? Le souvenir d’une après-midi fascinante, le souvenir d’un homme d’exception, Jacques Fouroux. Sa verve et ses références culturelles et historiques, largement au-dessus de son parcours scolaire.

La société de l’époque faisait encore la part belle aux autodidactes. Il nous reste aussi l’idée que les joueurs encore amateurs ne donnaient pas cent pour cent de leur potentiel et qu’ils avaient besoin d’aiguillons. Et par-dessus tout, demeure en nous cette sensation encore vivace aujourd’hui, que le rugby est unique car c’est le seul sport de combat collectif.

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