Jerome Kaino : « Le Stade et les All Blacks se ressemblent »

Mercredi, à Loudenvielle, la légende néo-zélandaise s’est confié sur sa première saison comme entraîneur, sur ses ambitions pour l’équipe comme pour lui et sur l’actualité du rugby mondial.

Pour la première fois depuis votre arrivée à Toulouse, vous avez terminé une saison sans trophée. Comment le compétiteur que vous êtes l’a vécu ?
Il y a une pointe de frustration mais cette année aura tout de même été une grande expérience sur un plan personnel. C’est celle qui m’a vu passer de joueur à entraîneur. J’ai beaucoup appris, aux côtés de grands techniciens. Pour en revenir au jeu, personne n’est satisfait car on sait que l’équipe n’a pas donné la pleine mesure de son potentiel. Ce qui s’est passé est à la fois une source d’enseignements et une énorme motivation pour revenir plus fort.

Qu’est-ce qui a manqué, à vos yeux ?
Tout s’est joué sur des rencontres clés. En Coupe d’Europe, le Leinster avait un meilleur plan de jeu que le nôtre. Ils l’ont mieux exécuté, aussi. Contre Castres, en demi-finale, nous avons gaspillé trop d’opportunités. Le dénouement aurait pu être différent. On sait que l’on a la capacité pour être meilleurs. Tout le monde est déterminé à le prouver, les joueurs sur le terrain et moi comme entraîneur.

Le fait d’avoir cette cible de double champion dans le dos a plus que jamais fait de vous l’équipe à battre l’an passé…
Mais ce sera encore le cas cette saison. Nous sommes Toulouse. Les gars d’en face auront toujours ce supplément d’âme et de motivation en nous affrontant. Je le vois comme un super défi à relever : face à nous, les équipes donnent toujours le meilleur d’elles-mêmes. Il faut en avoir conscience et s’en servir. Je pense que nous serons prêts pour ça, cette année. Il y a tant de qualités au sein de ce groupe, avec un recrutement de joueurs de haut niveau qui a renforcé notre ossature. Je suis impatient de voir cette équipe à l’œuvre.

On parle beaucoup des arrivées mais parmi les départs, il y en a un qui a dû vous marquer : celui de Joe Tekori…
Je suis très proche de Joe, effectivement. Nous avions joué à Auckland en 2003-2004 avant de nous retrouver ici. Son impact sur ce vestiaire était énorme. C’était « tonton ». Il incarnait l’état d’esprit du groupe. Il va nous manquer mais il n’est pas très loin et il va encore avoir de l’influence, à sa façon. Pour la suite, il y a d’autres leaders naturels qui vont prendre le relais et être à leur tour les garants de la culture de ce club : Rodrigue Neti, François Cros, Sofiane Guitoune…

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Le staff a, paraît-il, longuement analysé le jeu pratiqué la saison passée pour le repenser. Faut-il s’attendre à un nouveau Toulouse sur le terrain ?
Il est nécessaire de se remettre en question pour se renouveler et hausser le niveau. Sur la technique, les idées de jeu, la manière de gérer le groupe, il y a eu une large réflexion. C’était très enrichissant pour moi de participer à cet échange. Après, est-ce que l’on verra un nouveau Stade ? Je l’espère mais je ne veux pas en dire trop (sourire). En tout cas, les joueurs travaillent très dur, notamment sur les basiques de leurs postes. Nos gars ont des skills exceptionnels mais, l’année dernière, il y a eu des manques à ce niveau-là sur des matchs clés. C’est en réussissant bien les petites choses que l’on peut en faire de grandes.

La saison passée, de nombreuses équipes ont insisté sur le secteur des rucks pour vous empêcher de développer votre jeu. Ce secteur est-il la clé du succès à l’avenir ?
Oui, définitivement. Si l’on arrive à avoir des ballons propres et de la fluidité dans notre jeu, nous pouvons être très dangereux. Il suffit de regarder les joueurs que l’on a dans les lignes arrière… Plus vite vous leur donnez le ballon, mieux ils pourront s’exprimer. Le jeu au sol fait partie de nos axes de progression pour la saison à venir. Mais ce n’est pas le seul secteur sur lequel on veut s’améliorer.

Toulouse a-t-il manqué d’agressivité dans les rucks ? Votre équipe paraît plus composée de joueurs de ballon que de combattants…
Mais nous avons des gars qui adorent la bataille au sol. En fait, je crois qu’il nous faut surtout être plus intelligent dans l’approche des zones de contact. Il y a un juste équilibre à trouver entre l’utilisation du ballon et l’investissement au sol.

Vous sortez de votre première saison en tant que coach. Quel bilan faites-vous de cette année de « rookie » ?
Je me sens encore comme un « rookie ». Surtout quand je vois l’expérience des gars à mes côtés qui sont au club depuis des années. Je suis encore un peu timide, j’ai besoin d’apprendre…

Malgré vos 81 sélections et vos deux victoires en Coupes du monde…
Ça, c’était le rugby. Maintenant, c’est le coaching. C’est une nouvelle carrière, une autre histoire. Le plus important, c’est que je me sens très à l’aise au sein de cet encadrement. J’ai les yeux, les oreilles et l’esprit grands ouverts afin de me développer le plus possible. J’ai conscience que je dois faire des progrès pour parler français. Maintenant, je le comprends en grande partie mais il me faut mieux communiquer.

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Avez-vous ressenti « la petite mort » du rugbyman retraité ?
Non, c’était même le contraire, à vrai dire. Ma fin de carrière, je l’ai célébrée. Je n’avais pas de tristesse ou de sentiments négatifs en moi. Ce n’était que du bonheur par rapport à tout ce que j’ai vécu et accompli. Je n’aurais jamais cru que tout ça pourrait m’arriver. En plus, je finis sur le doublé… C’était incroyable. Et puis je savais que j’allais rester dans le milieu, auprès de cette équipe. Je fais encore partie de ce sport. Si je m’étais retrouvé dans un bureau, je ne le vivrais sûrement pas de la même manière.

Qu’est-ce qui vous a le plus étonné depuis votre passage de l’autre côté ?
Il y a un truc qui m’a vraiment surpris : c’est qu’il n’y a pas de bouton « off ». Quand vous êtes joueur, vous pouvez couper, vous détendre. En tant que coach, vous devez organiser les entraînements avant, les animer pendant puis les revoir après pour tout décortiquer, voir ce que vous pouvez améliorer, ce que vous allez proposer… Ça ne s’arrête jamais en fait.

Pouvez-vous nous décrire votre poste ?
Mon secteur, c’est les rucks, la zone de contacts autour, que ce soit en défense ou en attaque. J’organise des sessions là-dessus, avec les avants comme avec les trois-quarts. À côté, je vais continuer d’entraîner les espoirs, avec David Mélé désormais.

Votre formation se fait aussi par les études. Vous venez d’ailleurs d’obtenir un diplôme, c’est bien ça ?
Oui, j’ai eu mon CQP (certification de qualification professionnelle) et je vais maintenant m’atteler à passer mon DE dans les mois à venir. J’ai aussi validé un diplôme de management en sport à distance avec une université néo-zélandaise.

Quel est votre but, à moyen terme ?
Si le Stade toulousain veut me garder, ce que j’espère, j’aimerais, sur les cinq prochaines années, rester et évoluer en tant qu’entraîneur au sein de ce club. Je me sens si bien au Stade et à Toulouse. J’ai envie que la France soit ma maison pour encore de longues années. Si c’était possible, ce serait génial.

Vous avez vécu vos plus belles années de joueur sous le maillot des All Blacks, la sélection référence à l’échelle planétaire. Vous officiez désormais à Toulouse, le club le plus titré d’Europe. Pouvez-vous établir un parallèle entre ces deux institutions ?
Oui, les deux se ressemblent beaucoup, il y a de vraies similitudes. Déjà, ils partagent une riche histoire et une forte culture de la gagne. De nos jours, ils sont soumis à une très grande pression au niveau des résultats comme du jeu. Il y a tant d’attentes à combler pour ces deux équipes et ça, chaque année. L’exigence doit être maximale. Cela crée une même atmosphère. Les All Blacks, comme Toulouse, sont au sommet de la montagne et, du coup, tout le monde veut les faire chuter.

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Nous entamons une saison de pré-Coupe du monde, forcément particulière pour les internationaux. Comment les viviez-vous en tant que joueur ?
Ce n’était pas simple à gérer. Il y avait cette volonté de ne pas se blesser mais il était aussi crucial d’avoir le rythme de la compétition pour arriver en forme. Après, c’était surtout énormément d’excitation de savoir que la Coupe du monde arrivait. Ça fait partie des plus beaux moments de ma carrière.

La France est-elle la mieux armée pour remporter le Mondial ?
Oui, les Bleus sont favoris à mes yeux. De par le rugby qu’ils pratiquent, la confiance qu’ils ont emmagasinée avec leurs récents succès et le fait que la compétition se déroule sur leur sol. Les supporters français ont une grande capacité à porter leur sélection.

Quand vous étiez arrivé, Antoine Dupont était un jeune international très prometteur. Il est devenu le meilleur joueur du monde. Quelle ascension…
Il est incroyable. J’admire son calme sous la pression. C’est pareil pour Romain Ntamack. Ils sont d’une telle sérénité. Que ce soit une finale de Top 14 ou une rencontre banale, ils ont la même approche. Et ils sont très professionnels. Chaque semaine, ils cherchent à progresser.

Un petit mot sur les All Blacks : comment vivez-vous la mauvaise passe de votre sélection nationale ?
Les résultats actuels ne sont pas dans nos standards mais je ne suis pas inquiet pour autant. Je connais le talent des joueurs. Je connais Ian Foster, aussi. J’ai longtemps joué sous ses ordres et je sais que c’est un très bon technicien. Sam Cane, aussi, est un très bon capitaine. Les joueurs doivent être déçus mais je sais qu’ils vont trouver les solutions pour rebondir. La période est dure à vivre pour les supporters mais je pense que les Blacks en sortiront plus forts. Peut-être même dès la Coupe du monde (il croise les doigts).

Peut-être n’êtes-vous pas encore au courant mais Ian Foster vient d’être officiellement maintenu à son poste…
Oui, je viens de voir ça. Je suis très heureux pour lui.

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