Demba Bamba – Pilier du XV de France Lors du Mondial 2019 – Le droitier lyonnais (24 ans) faisait déjà partie du groupe France en voyage au Japon. Et pour lui, qui avait alors dû quitter l’archipel en cours de compétition, la notion de seconde chance prend aujourd’hui tout son sens…
La dernière fois qu’on vous a croisé, vous distribuiez des crampons et des maillots de rugby aux enfants de votre quartier…
Exact ! C’était à la mairie de Saint-Denis, un peu avant Nöel. Il y avait plus de deux cents enfants, ce jour-là. Si je pouvais faire ça tous les ans et qui sait, en pousser quelques-uns vers le rugby, ce serait génial. […] Saint-Denis, c’est chez moi. Dès que j’ai un week-end libre, j’y retourne. En fait, c’est comme si j’en étais jamais parti…
Des vocations sont-elles nées à Saint-Denis, après vos premières sélections en équipe de France ?
Oui, quelques-unes. La dernière, c’est d’ailleurs celle de mon frère. À 31 ans, il a voulu prendre une licence dans le 93. C’est pourtant le moins costaud de la famille : il doit faire 1,75 m et 80 kg…
Êtes-vous issu d’une famille de rugbymen ?
Pas du tout. J’ai été le premier à y goûter et ma petite sœur m’a suivi. Elle joue à Bobigny, maintenant : un peu flanker, un peu deuxième ligne… Mais elle est en équipe première, hein !
Comment aviez-vous démarré, vous ?
J’avais 12 ans et j’étais en cinquième, à l’époque. Au collège, lors de compétitions inter-classes, on s’essayait un peu à toutes les disciplines et un jour, contre les quatrièmes, j’ai marqué à chaque fois que j’ai pris le ballon. Même les mecs qui jouaient au rugby en club avaient du mal à me plaquer ! J’ai vraiment kiffé…
Vous ne faisiez pas de sport, à l’époque ?
Si, plein ! Je faisais déjà du hand, du judo et je me disais : « si je rajoute un troisième sport, mon père va me tuer… » Mais j’ai quand même été voir le club de Sant-Denis et après ça, les week-ends étaient chargés : le samedi, j’avais un match de hand et l’après-midi, un match de rugby. Le lendemain, je faisais des compétitions de judo. Mais bon…
Quoi ?
J’étais infatigable, à cet âge-là.
Le referiez-vous ?
Impossible. Mais le hand me sert encore beaucoup aujourd’hui, au niveau des appuis courts, par exemple.
Quel niveau aviez-vous, au judo ?
Un bon niveau, je crois. J’étais le plus léger de la catégorie poids lourds : il y avait des mecs qui faisaient 1,90 m et 125 kg, là-dedans… Mais le judo, ce fut vraiment une superbe expérience.
Pourquoi ?
Parce que mon prof de judo m’a fait comprendre qu’il fallait arrêter les conneries et devenir un mec droit. À cette époque-là, j’aimais beaucoup me bagarrer. Je ne provoquais jamais mais quand mes potes me disaient : « Viens, Demba ! Y’a bagarre contre le collège d’en face ! », j’y allais direct…
Pourquoi avoir choisi le rugby, alors ?
Je m’épanouissais dans le sport collectif et c’est au rugby que je franchissais le plus rapidement des paliers. Après le collège, je suis donc parti à Brive. J’avais 16 ans.
C’est jeune…
À l’origine, je devais signer à Bourgoin mais ma mère n’a pas voulu. Elle ne voulait pas que je sois seul et vu que mon frère vivait à l’époque en Corrèze… Ça c’est fait comme ça, quoi…
On vous suit…
Il a fallu que je me batte, pourtant, pour prouver à tout le monde que je faisais le bon choix. Mon entraîneur à Saint-Denis était contre. Il détestait que les gros clubs viennent chercher les joueurs aussi jeunes… Moi, je savais que pour réussir, je devais partir.
Pour quelle raison ?
Jusqu’en minimes, j’étais le seul gars issu d’un club de Fédérale à jouer en sélection Ile-de-France. Autour de moi, il n’y avait que des mecs de Massy, du Stade français ou du Racing. En les côtoyant, je voyais bien qu’il me manquait quelque chose. J’étais un numéro 2, à leurs yeux. Partir à Brive, c’était la seule opportunité de progresser.
Le déracinement fut-il difficile, au départ ?
Oui, surtout qu’en raison d’un souci administratif, je n’ai pas beaucoup joué, la première année. Mon frère me mettait la pression, il disait que je n’évoluais pas. J’ai alors failli repartir en région parisienne, à cette époque-là. J’ai même fait des tests au Stade français. Mais ils étaient pas trop chauds pour me prendre. Ce n’est qu’après, quand j’ai eu ma petite chambre de quinze mètres carrés de Brive et que j’ai pu mener ma petite vie que tout a vraiment démarré. En crabos, j’ai même fini comme meilleur marqueur de l’équipe.
Quel était votre rêve de gosse ?
J’ai grandi à Saint-Denis, avec le Stade de France en point de mire. Mon rêve était simplement d’y jouer un jour…
Vous l’avez réalisé…
Oui. Mais je ne veux pas m’arrêter là.
Parlons un peu de cette tournée au Japon. Comment avez-vous vécu le premier test ?
La mêlée japonaise est plutôt solide. Leurs piliers sont aussi très expérimentés. Le mec que j’avais en face (Keita Inagaki, N.D.L.R.) était par exemple le plus capé de l’équipe. […] À Toyota, il y avait la place pour faire plus. En clair, on a une marge de progression et on le sait tous.
Est-ce votre premier voyage au Japon ?
Non, j’étais déjà là lors du Mondial 2019. J’avais joué quelques matchs, j’étais même entré en jeu contre l’Argentine, pour remplacer Rabah (Slimani). Mais derrière, je m’étais blessé aux ischio-jambiers à l’entraînement et j’avais dû rentrer en France (Cedate Gomes-Sa l’avait alors remplacé dans le groupe). En gros, ça s’est mal terminé et c’est la raison pour laquelle je voulais à tout prix revenir ici, cette année. Je voulais boucler l’aventure, en quelque sorte…
Quel peut être pour l’équipe de France le levier de motivation, après avoir passé plus de quarante points aux Japonais lors du premier test ?
Tout n’a pas été parfait à Toyota, notamment en première période où on était vraiment en galère. Ce week-end, il faudra dominer le truc, maîtriser notre sujet et imposer notre rugby.
Avez-vous eu le temps de visiter Tokyo ?
Un peu, oui. Les gens sont tellement sympas, ici. Quand ils nous croisent, ils nous sourient et nous disent tous « arigato » (merci). J’ai aussi découvert à Tokyo quelques bons restos. La cuisson du riz est parfaite.
Cuisinez-vous ?
Je m’y suis mis récemment, oui. Je m’essaie aux plats africains. Je prépare plutôt bien le « poulet mafé » (un plat en sauce à base de pâte d’arachide) et parfois, je tente même un « thieb » (plat mijoté du Sénégal). Mais c’est plus dur, avec du poisson…
Vous en sortez-vous bien ?
Pas trop mal… J’ai d’ailleurs acheté un couteau de cuisine japonais, ici. Il va m’être utile, en rentrant.
Avez-vous toujours apprécié le secteur de la mêlée fermée ?
Au départ, je n’aimais pas ça. J’ai commencé numéro 8 et j’adorais porter le ballon. À 18 ans, quand on m’a installé en première ligne, il m’a donc fallu du temps pour me faire à l’idée. Mais j’ai appris à aimer ça, au fil du temps…
Qu’aimez-vous, en fait, dans ce bras de fer ?
En mêlée, tu as le pouvoir de marquer psychologiquement ton adversaire direct. Quand tu avances, le mec d’en face le vit comme une humiliation. Il baisse la tête, perd ses moyens : alors, il t’accroche le maillot, te branche un peu… Là, tu sais que tu as gagné ton duel. Mais tu sais aussi que tu peux perdre le suivant…
Avez-vous eu besoin de vous faire violence, à un moment de votre carrière ? Ne vous êtes pas trop reposé sur vos qualités naturelles, à une époque de votre vie ?
Peut-être, oui… Je crois surtout que j’étais trop prudent, pas assez ambitieux.
Comment ça ?
Quand j’ai débarqué à Lyon il y a deux ans, j’y suis arrivé en me disant que je serai la doublure de Francisco Gomez-Kodela. Un jour, Pierre (Mignoni) m’a pris dans son bureau en me disant qu’il n’acceptait pas ça de ma part. Il voulait que je sois un numéro 1 et que je me comporte comme tel. Ce fut un vrai déclic, pour moi.
Quel était le danger, en fait ?
Je ne veux pas que l’on dise de moi : « Bamba est un éternel espoir. C’est le mec qui n’a pas franchi le cap. » C’est hors de question. Je veux me battre et progresser, encore.
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