Brian O’Driscoll : “Antoine Dupont est-il vraiment humain ?”

Brian O’Driscoll – Légende du rugby irlandais – Aussi rare dans les médias français que brillant sur les terrains (1999-2014), “BOD” a accepté de décrypter pour nous la demi-finale Leinster-Toulouse. Avec son franc-parler et sa bonne humeur habituels.

Dépannage à domicile, tous travaux

Au long d’une conversation sur vos réseaux sociaux, vous préveniez que la confrontation avec “votre équipe”, le Leinster, allait être un peu plus “trickier” (1) pour Toulouse que la semaine dernière. À quoi faut-il s’attendre ?

Ils ont battu le Munster, d’accord, mais les Toulousains vont désormais se frotter à une équipe qui aligne douze titulaires de l’Irlande. Ça change la donne, non ? Le Leinster regroupe un plus grand nombre de talents et ceux-ci sont mieux préparés, mieux entraînés. Leo Cullen et Stuart Lancater font un travail fantastique. Le Leinster inspire d’ailleurs une grande partie des plans de jeu de l’Irlande. Pour faire clair, le Leinster et l’Irlande, c’est la même équipe. Seul le maillot change. Et cette équipe a récemment battu les All Blacks. Voilà…

Le rugby que propose le duo Cullen-Lancaster est-il si différent de ce qu’avait mis en place Joe Schmidt, il y a dix ans avec deux titres de champion d’Europe à la clé ?

Il y a eu une évolution très nette, que l’on retrouve d’ailleurs également en équipe d’Irlande. Ils sont désormais capables de marquer dans beaucoup de situations différentes. Les essais viennent autant de phases statiques que du jeu courant, et de beaucoup d’endroits du terrain. Ça, c’est nouveau. Leur jeu est moins programmé, les joueurs lèvent la tête et jouent en fonction de ce qu’ils voient en face d’eux.

Presque “à la française”, si on vous écoute…

Toulouse et le Leinster partagent une obsession : générer les rucks les plus rapides d’Europe et, ensuite, jouer en s‘adaptant à ce que propose la défense. Mais il faut continuer à jouer, coûte que coûte. Au Leinster, Jamison Gibson-Park joue un rôle central dans cette nouvelle approche. À la mêlée, c’est lui qui impulse ce tempo rapide. Il est certainement le meilleur joueur irlandais de la saison et il sera opposé au meilleur joueur du monde, Antoine Dupont. Autant vous dire que leur duel va valoir le coup d’œil…

Justement, la presse irlandaise avançait cette semaine que Gibson-Park n’avait rien à envier à Dupont et que, sur certains aspects, il lui était même supérieur. Votre avis ?

C’est tout de même très généreux pour Gibson-Park… Il va falloir qu’il maintienne ce niveau de jeu pendant plusieurs saisons, avant de pouvoir prétendre à cette conversation… Vous avez vu ce que fait Antoine Dupont ? Est-il vraiment humain ?

Aux dernières nouvelles, oui !

Il a été élu meilleur joueur du monde et je ne vois aucune contestation possible. Il est seul, sur sa planète. Même dans les situations les plus fermées, il est capable de tout renverser à son avantage. J’entends des gens dire : “Il n’est pas aussi bon cette saison que l’an dernier.” Mais vous êtes fous ? ! Le mec est surveillé, traqué et il fait encore des choses incroyables. Mais il les fait tellement souvent que plus personne ne s’en étonne. Avec lui, on s’est habitué à l’extraordinaire. Quand il ne fait pas trois exploits dans le match, les gens disent qu’il a été mauvais ? Il faut être sérieux, tout de même…

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C’est un sacré hommage.

Vous avez vu ses tirs au but face au Munster ? Absolument aucune émotion. Rien. Son langage corporel est incroyable. Il n’y a pas une once de doute en lui, alors que ces coups de pied sont immensément importants. Au troisième tir Ntamack lève les bras, pensant que c’est gagné. Il y a un moment de flottement. Mais Dupont ne bronche pas. Il s’avance en marchant. Pas une mimique, pas une expression. Il pose son ballon, court, tape au milieu des poteaux et repart en marchant. Aucune émotion, c’est sensationnel. À ce moment-là, je me suis vraiment demandé s’il était humain. Et ce n’est pas tout.

Quoi d’autre ?

Sa force physique est incroyable. Toutes les équipes le chassent et veulent le faire jouer sous pression. Forcément, il lui arrive de se faire croquer ou de se trouver enfermé. Pourtant, sa puissance lui permet toujours de s’en sortir. Il est jeune, humble, travaille dur pour son équipe – ce qu’on ne met pas assez en avant. Il a tout. Vraiment, c’est un phénomène. La grande star du rugby pour les prochaines années est française, vous avez de la chance.

Cette starification lui a d’ailleurs été reprochée, parfois…

J’ai vu ça, qu’Ugo Mola lui avait un peu reproché cette célébrité nouvelle, qu’il fallait faire attention avec toutes ces “unes” de magazines et ne pas perdre de vue le terrain. Mon avis : tant que vous êtes bon sur le terrain, faites ce qu’il vous plaît. Lui, il est fabuleux. Alors, que Dupont fasse comme il a envie.

Les lumières sont très souvent mises sur Antoine Dupont et Romain Ntamack. Quel autre joueur vous impressionne dans les rangs toulousains ?

Thomas Ramos. Face au Munster, toutes ses décisions ont été bonnes. Il est fort sur les basiques du poste, bute très bien, ose prendre des initiatives et assumer la part de risque. S’il se trouve en dernier défenseur, il fait le job. Je sais qu’il fait partie du groupe France mais qu’il joue peu. Je trouve que c’est un joueur très sous-estimé.

Effectivement, ses apparitions en Bleu sont très rares. Fabien Galthié lui préfère Melvyn Jaminet. Partagez-vous ce choix ?

Certains joueurs attirent l’œil de l’entraîneur, d’autres moins. Parfois pour des raisons objectives, en fonction des profils ou du niveau. Parfois pour une raison plus affective, pas forcément perceptible. Mais Fabien Galthié maîtrise son sujet : s’il fait ce choix, il a de bonnes raisons. Et il ne faut rien enlever à Melvyn Jaminet : bon joueur et excellent buteur, même à longue distance. C’est précieux.

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Les deux joueurs seront en concurrence l’an prochain : Jaminet ira à Toulouse et Ramos a choisi de rester, plutôt que d’éviter la concurrence…

(il coupe) Je ne le savais pas mais ça, ça me plaît ! J’adore ça. Il ne s’écarte pas. C’est trop facile de s’effacer quand il y a de la concurrence. “Un international arrive à mon poste ? Ok, je reste et je défends ma position.” C’est ça, un champion. Ramos peut aussi jouer ouvreur, voir ailier. Il aura du temps de jeu.

Pas sûr qu’il serait ravi de devoir changer de poste…

C’est pourtant une de ses forces et, globalement, une grande force du rugby français. Derrière, presque tous vos joueurs peuvent jouer à plusieurs postes. Jalibert, 10-15, Ntamack 10-12, Dupont 9-10, Fickou 12-14… D’un point de vue irlandais, où nous sommes hyper-spécialisés à notre poste, ça me fascine. Vous produisez des joueurs complets, c’est très français et c’est la beauté de votre rugby. Pour un entraîneur, c’est aussi beaucoup de confort pour varier les associations et aligner en même temps, sur le terrain, un maximum de “X factors” (2)

Garry Ringrose a pris votre succession avec le numéro 13 que ce soit au Leinster ou avec l’Irlande. Compte-t-il aujourd’hui parmi les meilleurs centres du monde ?

Il est dans la balance. Garry, je l’ai vu arriver très jeune. Lors du Mondial junior, on voyait que ce gamin avait un truc particulier. Mais il n’avait que la peau sur les os, il lui fallait se densifier. Aujourd’hui, il est complet, performant dans tous les secteurs. C’est surtout un énorme travailleur. Un étudiant du rugby. Il bosse très dur et il analyse tout : ses performances, celles de son équipe, celles des adversaires. Son éclosion a été retardée par de graves blessures, c’était frustrant pour tout le monde. Désormais qu’il est en pleine forme, il appartient au gratin mondial de son poste.

Vous parlez du Leinster comme de votre maison, vous louez le travail de Leo Cullen et Stuart Lancaster. Pourquoi ne jamais avoir pris de responsabilités au club ?

Je n’en ai jamais ressenti l’envie, pour être honnête. Quand j’ai arrêté le rugby, après quinze ans de carrière, c’était pour enfin profiter de mes week-ends. Je n’allais quand même pas devenir entraîneur et repartir en déplacement tous les week-ends ! Et franchement, j’ai de multiples activités à côté. Je suis très heureux dans ma vie. Le rugby, vécu de l’intérieur, ne me manque pas.

Souvent, les joueurs retraités disent que ce qu’il leur manque le plus, c’est le vestiaire, ses bruits, ses odeurs… Vous, non ?

Non plus. J’ai commencé le rugby très jeune et j’en ai énormément profité. Mes anciens coéquipiers qui sont restés des amis, je n’ai pas besoin d’aller au stade pour les voir. On s’organise une sortie en dehors, on va boire quelques bières et refaire le monde. Je n’ai pas la nostalgie de mon époque de joueur. Le vestiaire ne manque pas tant que ça. De toute façon, je n’en fais plus partie. Désormais, le vestiaire appartient à d’autres et c’est très bien comme ça. Il faut que cela soit leur territoire, pas celui des anciennes gloires.

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Le Stade toulousain a récemment tourné le film de sa dernière saison, Le Stade. Un documentaire Inside, avec une caméra au quotidien dans les vestiaires. Voyeurisme, profanation du sacré ou saine évolution de notre sport ?

Je ne suis pas passéiste et je trouve cela très bien. Il faut vivre avec son temps. Le rugby a changé, le public et les joueurs aussi. La camaraderie du vestiaire se vit de façon différente. Il n’y a pas à le regretter, c’est très bien que le rugby avance, qu’il évolue. Les joueurs sont là pour gagner mais aussi donner des émotions. Les clubs sont là pour proposer un divertissement et faire rentrer de l’argent. Ces formats de documentaires Inside, de plus en plus de clubs l’utilisent. Je trouve que c’est une bonne chose. Dans un vestiaire, il n’y a rien qui relève du secret d’État, vous savez…

Entre le Leinster et Toulouse, qui va l’emporter ce week-end ?

Je mise sur le Leinster. Pour plusieurs raisons. Ils ont réalisé une campagne européenne pleine, consistante. Ils se sont organisés et programmés pour cette échéance, dans la gestion de leur effectif et de leur fin de saison. Ils ont aussi un besoin important de gagner, après trois années sans. Côté Toulouse, je trouve qu’il y a une certaine usure physique mais aussi émotionnelle. Le match de la semaine dernière aura laissé des traces. Pour toutes ces raisons, je serais surpris si le Leinster était battu. Il faudrait un immense Stade toulousain. Je m’en tiens à mon pronostic initial : victoire du Leinster, par quatre ou cinq points.

La meilleure équipe est-elle toujours championne, et inversement ?

Pas toujours. Parfois, une surprise se glisse. Mais c’est rare. L’an dernier, Toulouse était le plus fort et il a été champion. Cette année, je trouve le Leinster un cran au-dessus.

Cinq équipes françaises en demi-finale de Coupe d’Europe, dont trois en Champions Cup : est-ce seulement une question d’argent ?

Les finances, c’est une chose. Mais ça ne fait pas tout. Il y a surtout, je crois, une question de dynamique. Celle du rugby français est excellente, avec de super jeunes qui émergent un peu partout et leur dernier grand chelem. Et, franchement, est-ce choquant d’avoir trois Français en demi-finale ? C’est assez logique. En début de saison, si on m’avait demandé mon pronostic, j’aurais mis Toulouse et La Rochelle à coup sûr, et sûrement le Racing. Et le Leinster pour compléter le tableau. Les quatre meilleures équipes sont au rendez-vous. L’Europe a les demi-finales qu’elle mérite.

(1) Plus difficile

(2) joueurs décisifs

https://www.midi-olympique.fr/2022/05/12/brian-odriscoll-antoine-dupont-est-il-vraiment-humain-10290481.php

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